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Acte moral vertueux destiné à fonder le futur et à ne pas oublier le passé, la transmission assure la descendance d’une lignée et parfois la survie d’une entreprise. Mais au-delà de sa valeur sociale et symbolique, l’héritage peut aussi se transformer en poids lourd à porter en cas de préparation trop tardive, en particulier dans un contexte de crises récurrentes. De nouveaux modèles pensent l’héritage au prisme du « monde d’après ».

La jeunesse sait ce qu’elle ne veut pas avant de savoir ce qu’elle veut.Jean Cocteau

 

Regard prospectif sur les grandes tendances des prochaines années et leur impact sur le secteur financier et économique. Rédigé par le planning stratégique de l’agence Lonsdale, avec la participation de Philippe Depoorter, Responsable Family Practice de la Banque de Luxembourg.

La transmission est civilisationnelle. Dans son origine latine, la transmission (« transmissio ») désigne le trajet. Elle est donc ce qui permet au patrimoine ou à la culture de traverser le temps et les générations. La communauté scientifique s’accorde pour affirmer que la distinction entre l’Homme et les autres espèces intelligentes qui peuplent la Terre ne réside pas essentiellement dans les capacités cognitives mais dans leur mémoire. Le poulpe, par exemple, est doté d’une intelligence hors-norme et passe sa vie à apprendre et enregistrer de nouvelles informations sans les transmettre à sa mort, forçant les prochaines générations à tout recommencer depuis le départ. Or, selon la formule consacrée de Nietzsche, « l’Homme de l’avenir est celui qui a la plus longue mémoire »1 et doit se conduire en « héritier de tout l’esprit passé, et en héritier à qui incombe des obligations »2.

Centrale dans les sociétés, la transmission traduit la capacité très humaine de se projeter au-delà de sa propre mort, selon le philosophe Peter Stloterdijk, elle est « ce qui fait passer les enfants du monde des ancêtres au monde des descendants »3. La transmission assure le suivi d’une lignée, d’une activité professionnelle ou d’une marque. La filiation biologique se double ainsi d’une filiation subjective qui favorise l’identification et la reconnaissance mutuelle au sein de la famille. Plutôt qu’une action passive de recevoir, l’héritage est perçu comme la responsabilité d’accomplir ce qui a été esquissé par les générations précédentes. Pour le philosophe Heidegger « l’héritage se cherche dans la descendance, les héritiers ont pour mission de donner consistance à ce qui a été ébauché »4.

Souvent sensible et impopulaire, la transmission a été longuement explorée sous son angle philosophique en dépit de son caractère économique. Elle irrigue pourtant la vie économique et favorise la reprise ou la relance d’entreprises. À la croisée entre les considérations financières et symboliques, la transmission confère au capital une fonction altruiste. Mais elle est aussi une charge qui peut être lourde à appréhender. Alors que les crises s’abattent sur l’économie et le pouvoir d’achat, est-il encore possible d’hériter sereinement ? La transmission d’une entreprise au sein de la famille est-elle encore un modèle incontournable ? Et quel rôle les banques peuvent-elles jouer venir pour faciliter cette épreuve intime ?

Ruptures dans la transmission

Les nouvelles dynamiques sociales et démographiques pèsent sur la transmission. L’allongement de la durée de vie, l’évolution des modèles familiaux ou encore la complexité fiscale entraînent une pression sur les foyers. Surtout, le moment d’hériter est repoussé, tout comme les indispensables discussions qui le précèdent. En 2020, un individu hérite en moyenne à 54 ans alors qu’il héritait à 42 ans en 19845. Par conséquent, les héritages sont plus importants mais creusent davantage les inégalités sociales et les écarts de patrimoine entre les plus âgés et les plus jeunes, qui héritent de plus en plus tard. Ainsi, les stocks de patrimoine s’accroissent et peuvent faire des prochaines générations les plus riches héritiers de tous les temps. Mais aussi les plus démunis.

À mesure que l’espérance de vie se fait plus heureuse, le sujet de l’héritage est écarté par des aînés qui investissent dans leur propre bonheur ou gardent le contrôle de leur entreprise. Les descendants peuvent alors s’écarter des chemins « tracés » et se détourner du capital familial. Par ailleurs, l’INSEE a démontré que la probabilité de reprendre une entreprise est plus élevée lorsqu’une donation a été reçue plutôt qu’un héritage perçu6, soulignant ainsi l’effet causal de la préparation. Pour Philippe Depoorter, Responsable Family Practice de la Banque de Luxembourg, « la transmission est quelque chose que l’on préférerait repousser à plus tard (…) et que l’on veut régler vite. Or la transmission n’est pas quelque chose que l’on doit régler vite, il faut savoir ce que l’on veut transmettre et comment le transmettre ».

D’autres configurations sociales, comme le schéma familial, influent également sur le bon déroulé de la transmission. Les familles nombreuses liées par un contrat de mariage en effet faire preuve de plus d’anticipation que les personnes seules. Or l’individualisme et le « celibat-boom », augmentation attendue du célibat dans les prochaines années, risquent de retarder encore davantage les successions et, sans préparation testamentaire, de les imposer. Des changements qui délaissent l’image des héritiers sereins de fortune pour des héritiers inquiets de dettes.

La transmission n’est pas quelque chose que l’on doit régler vite, il faut savoir ce que l’on veut transmettre et comment le transmettre.Philippe Depoorter, Responsable Family Practice

Une affaire de famille

Si les familles peinent à aborder le sujet suffisamment tôt, c’est principalement parce qu’il est souvent l’objet de vives tensions. L’image archétypale du repas de famille qui dérape et le risque de conflits entre héritiers contribuent à faire du sujet de la transmission un tabou familial. Il est même souvent « un débat interdit »7 du fait de son caractère sacré et intouchable. En 2019, la France a illustré toutes les tensions que le sujet cristallise lorsque le testament du chanteur Johnny Hallyday frappait d’exhérédation8 ses deux aînés, provoquant l’indignation d’une partie de l’opinion publique. De même, il paraît impossible pour un héritier de refuser une succession d’un parent sous peine de « renier » sa descendance et de devenir un étranger. Anne Goedert, Conseillère Family Practice de la Banque de Luxembourg confirme « les enfants ou petits-enfants peuvent se montrer inquiets face à un héritage. Notre approche est de les inviter à discuter avec la génération aux commandes pour assurer la pérennité du patrimoine mais aussi l’harmonie familiale ».

Aux questions économiques liées à la succession s’ajoutent des questions d’ordre moral qui questionnent la projection au deuil. Le psychiatre Alain Sauteraud9 explique que « nos sociétés occidentales sont bâties sur le mythe de l’immortalité » et croient aux statistiques comme des garanties. Ainsi, si l’espérance de vie est estimée à 81 ans, les parents n’aborderont pas le sujet du deuil lorsqu’ils ont une cinquantaine d’années. Des tabous, du déni et une illusion de contrôle qui bloquent les dialogues.

Le temps des tempêtes

Si les familles peinent à se projeter dans « l’après » au niveau de leur patrimoine, c’est parfois encore plus difficile avec des héritages d’entreprises. Les crises économiques qui jalonnent le XXIème et le « grand confinement » ont eu pour effet de retarder ou suspendre les successions d’entreprises et les départs à la retraite, dans l’espoir de recréer de la stabilité pour les repreneurs. La crise de la Covid 19 est assimilée à un « cygne noir »10, c’est-à-dire une situation de rupture critique hautement improbable qui soulève de nombreuses interrogations et freinent l’entreprenariat. Face à l’incertitude, les descendants peuvent se raviser sur leur choix de reprendre l’activité et ne pas se sentir à la hauteur de la tâche. Anne Goedert confirme « il est parfois difficile pour les repreneurs de trouver leur légitimité, leur place dans l’entreprise, leur style de management. D’où l’importance de les accompagner avant et après ». Les situations exceptionnelles et la mauvaise santé économique des pays tendent encore davantage les discussions sur l’héritage et en font même un facteur d’inégalité.

En effet, la transmission soutiendrait des « chaînes d’imitation » où le pouvoir économique et le patrimoine seraient majoritairement aux mains des mêmes familles depuis des générations11. L’héritage fait depuis longtemps débat au sein des économistes de tous pays, dont certains pensent que la transmission répond à un enjeu de continuité de la société mais devrait aussi transmettre des richesses à la collectivité12. Les débats sur l’égalité des chances participent à un retour des théories progressistes du XIXème siècle. Ainsi, l’économiste Thomas Piketty défend l’idée d’un héritage pour tous13 et avance l’idée d’hériter à l’âge de 25 ans pour permettre aux plus jeunes d’accéder à la propriété plus rapidement. Le rôle de la transmission est également interrogé par des thèses libérales, reprochant à l’héritage de créer de l’oisiveté et de décourager l’entreprenariat. L’effet Carnegie décrit ainsi que les transmissions reçues augmentent la consommation courante mais favorisent ainsi des principes de rentiers. Au contraire, une donation précoce favoriserait l’innovation et la naissance de jeunes entreprises solides. Des chefs d’entreprise de la Silicon Valley, comme Mark Zuckerberg, ont ainsi fait le choix de ne pas léguer leur fortune à leurs enfants mais de la céder à des œuvres humanistes qui favorisent l’insertion professionnelle.

Nos sociétés occidentales sont bâties sur le mythe de l’immortalité.Alain Sauteraud

À partir de ces points saillants qui mettent en perspective le rôle et la symbolique de la transmission, nous pouvons introduire le rôle des banques et des programmes qu’elles mettent en place. Des programmes actuels et légitimes qui peuvent encore évoluer pour s’adapter aux besoins de la société et des familles. Dans les deux scenarii prospectifs suivants, nous convoquons les banques au premier plan de l’héritage en qualité de conseil mais aussi dans des qualités conciliatrices et empathiques. Même si elles se basent des éléments réels, concrets et tout à fait actuels, ces deux propositions dessinent de nouvelles pistes sur l’avenir.

Scénario 1 : les casques bleus de l’héritage

Si le sujet de l’héritage est aussi impopulaire, c’est peut-être lié à sa méconnaissance et au manque de préparation.

Lorsque les banques et les notaires abordent la question avec les familles, ils entrent dans l’intimité des foyers et se heurtent bien souvent à des non-dits familiaux ou des freins psychologiques. Les institutions bancaires mettent alors en place des services relationnels qui en font de parfaits facilitateurs familiaux. Suivant ce principe, les banques pourraient dans les années à venir aller encore plus loin en intervenant dans des conflits familiaux ou en aidant les descendants à exprimer leurs émotions à leurs aînés. Des tables rondes ou des séances de « libre expression » seraient ainsi régulièrement organisées pour libérer la parole de tous les membres de la famille et devancer les craintes de chacun. Dans un monde qui s’accélère et se déshumanise, les banques incarneraient ainsi un refuge d’humanité avec des cercles de discussions et familiaux qui s’inspirent des salons de conversations du XVIIIème siècle. Des rendez-vous réguliers où tous les membres de la famille peuvent librement s’exprimer chacun leur tour, sans risque d’être interrompus ou jugés.

Bien conscients que le sujet est parfois intime et que certaines personnes peuvent être pudiques sur leurs motivations, les banques proposeraient un service de messagerie, fonctionnant comme les anciens modèles des répondeurs. Les membres de la famille parleraient librement, comme dans un confessionnal. À chaque fois, le banquier écoute et réagit en livrant les informations les plus adaptées au schéma, ajoutant une fonction de fin psychologue à ses compétences de conseiller. Avec l’ensemble des informations à portée de main, les familles seraient à la fois plus éduquées, plus avisées et préparées à la succession. Plutôt que de subir une transmission dont les conditions sont verrouillées par les aînés, les enfants et les bénéficiaires pourraient prendre l’initiative des discussions, allant jusqu’à précipiter les donations « du vivant » ou acceptant plus facilement l’hypothèse du refus. Avec une meilleure préparation et des discussions plus libres et faciles grâce aux banquiers « casques bleus », la transmission quitterait sa place d’objet sacré pour être une simple manœuvre informatique. Une fois celle-ci réalisée, les parents pourraient ainsi se concentrer sur l’essentiel : les valeurs et le patrimoine culturel et émotionnel qu’ils vont léguer au futur.

Scénario 2 : permis d’hériter

La virtualité est la réalité. Avec les années, les plateformes de jeu et la réalité virtuelle renforceront leur importance dans la vie ordinaire et se rapprocheront de la réalité, allant jusqu’à se substituer à elle. Avec la démocratisation des technologies immersives les banques pourraient faciliter les questions de reprise d’entreprise. En prenant rendez-vous avec un banquier, les futurs entrepreneurs pourraient profiter d’une expérience ludique : un jeu virtuel pour se projeter dans leur prochaine vie. Avec un casque de réalité virtuelle et un ensemble de choix paramétrables, ce jeu permettrait aux bénéficiaires d’un héritage d’appréhender au mieux les situations auxquelles ils devront faire face. Lorsqu’ils buteraient sur un dilemme, un algorithme calculerait pour eux les meilleurs choix et probabilités. Ce dispositif « au mérite » permettrait également aux cédants de vérifier que leurs successeurs sont les plus compétents à la reprise de leur activité. L’expérience pourrait ainsi déboucher sur une qualification, ou un permis, qui certifie que les repreneurs ont bien les qualités et la motivation requises. Dans ce cas, il pourrait être envisageable d’anticiper l’héritage ou d’effectuer des donations.

Par la discussion et l’ouverture des perspectives, la transmission se délesterait de son poids symbolique. La fin des « automatismes » ne contraindrait plus les enfants à reprendre l’entreprise familiale mais aiderait au contraire chacun des membres à faire le meilleur choix en bonne connaissance de cause.

Ces deux scénarii préfigurent clairement le rôle de plus en plus évident que jouent les banques dans ces étapes sensibles et parfois difficiles de la vie. Les conseillers bancaires quittent leurs fonctions de'intermédiaires financiers pour assumer pleinement leur métier de facilitateurs. Leurs efforts se concentrent sur la libération de la parole, pour désamorcer des tabous, mais aussi sur la projection pour simplifier les chemins de la transmission. Un troisième scénario aurait pu imaginer que l’intelligence artificielle devienne si développée que les volontés des aînés défunts continuent de s’exprimer de manière vocale ou holographique, encourageant les bénéficiaires dans leur nouvelle vie. Après tout, l’héritage permet de laisser une trace dans l’Histoire et d’approcher l’immortalité…

À retenir

Les effets combinés des crises économiques et des nouvelles données démographiques (allongement de l’espérance de vie, boom du célibat…) retardent le moment d’aborder les sujets liés à l’héritage et rendent l’anticipation difficile.

Alors que la transmission est toujours un sujet « interdit » dans beaucoup de familles, convoquant des thématiques délicates et intimes, les institutions bancaires revêtent des fonctions de facilitateurs pour libérer la parole par des moyens ludiques ou des cercles de discussion.

Avec la durée de vie qui s’allonge, les bénéficiaires héritent de plus en plus tard et accumulent des stocks de patrimoine qui ne les aident pas à s’insérer dans la vie professionnelle. Les donations du vivant et la bonne préparation de l’héritage favorisent l’envie d’entreprendre et l’esprit d’innovation.

Un site Internet dédié

www.banquedeluxembourg100ans.com a été spécialement conçu pour le centenaire de la Banque. Accessible à tous, ce site révèle 100 ans d’histoire économique et sociétale en remontant le temps et analyse les enjeux de demain.

1 Nietzche, le gai savoir, Flammarion, 1997 (réédition)

2 Ibid.

3 Peter Sloterdijk, après nous le déluge, Payot rivages, 2014

4 Jean-Piere Paturet qu’est-ce qu’un héritage ? revue Empan, Cairn, 2007

5 Insee, 2020

6 Luc Arrondel, Bertrand Garbinti, André Masson, Inégalités de patrimoine entre générations, rapport INSEE économie et stastiques, 2014

7 Impôts, l’héritage, un sujet tabou en France, Le Monde, 2020

8 Terme utilisé en droit des successions pour désigner l’action de déshériter une personne

9 Alain Sauteraud, pourquoi la mort est si tabou, étude PFG en partenariat avec Psychologies, 2019

10 Valery Michaux, comment les entreprises peuvent-elles se projeter dans le futur, La Tribune, 2020

11 Faut-il supprimer l’héritage ? Le Monde (vidéo), Youtube, 2020

12 Jeremy Bentham, An introduction to the principles of morals and legislations, Gallica, pub originale 1780

13 Thomas Piketty, Capital et idéologie, ed. du Seuil, 2019


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